Un livre pour donner envie de voyager ? – « L’usage du monde » de Nicolas Bouvier.

« L’usage du monde » de Nicolas Bouvier.

Le récit mythique de Nicolas Bouvier, son ouvrage le plus connu, qui relate son voyage avec le peintre Thierry Vernet, à bord d’une vieille Fiat, de la Serbie jusqu’à l’Inde, en passant par la Turquie, l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan (1953-1954). Un périple en Asie Centrale sur les traces de la Route de la Soie. Récit aujourd’hui considéré comme le grand classique de la littérature de voyage francophone.
Quel beau titre ! Ce récit est une leçon de vie, l’usage de la vie au quotidien : un voyage fait d’aventures et de rencontres ; le voyage vu comme passeport pour l’humain : chaque étape permet à Bouvier de croquer des portraits inoubliables, de saisir comme il le dit les “miettes” du voyage pour les rendre éternelles : avec lui, nous faisons la connaissance des musiciens serbes dans la Yougoslavie communiste, des tziganes macédoniens, des instituteurs kémalistes turcs. Puis, c’est la traversée de l’Asie centrale : dans l’Azerbaïdjan iranienne, découverte de la mythique ville de Tabriz, sous l’hiver glacial et l’accueil chaleureux de la communauté arménienne. L’iran et ses villes mythiques, Chiraz, Téhéran, Persépolis, Ispahan .¨…et sa mosaïque d’ethnies : les kurdes, les baloutchs…

Puis c’est la traversée des no man’s land du désert du Lout, désert iranien inhabité à la frontière du Pakistan et de l’Afghanistan. La vieille voiture fait des siennes. Il faut compter sur l’aide des bédouins qui vous offrent du thé dans les célèbres tchaïckanes, les maisons de thé iraniennes.

 Passage de frontières irréelles, aux douaniers endormis aux vapeurs du samovar et du narguilé ; rencontre avec les fiers afghans, dont le territoire n’a jamais été conquis par les occidentaux ; c’est de là que Bouvier partira  pour l’Inde en franchissant les montagnes de l’Hindou Kouch et le Khyber Pass en compagnie des routiers afghans, dans un climat très hostile.

Aventures, rencontres et philosophie du voyage au coeur de ce récit, qui laisse aux lecteurs des souvenirs de scènes cocasses ou de beaux portraits. 

Les déambulations de deux occidentaux dans une décharge du désert iranien pour retrouver le manuscrit de Bouvier. La peinture d’une fresque coquine par Thierry Vernet pour tenter d’amadouer le douanier. Ou encore l’aventure cauchemardesque de la Fiat en panne dans le désert hostile du Lout, où la chaleur et les effluves de sel rendent le trajet impossible. 

Une apologie de l’errance avec, comme moyen de subsistance, la plume de Bouvier et le pinceau de Vernet. 

Des personnages inoubliables : les musiciens macédoniens que Bouvier enregistre, les grands mères arméniennes de Tabriz, les douaniers qui ont donné leurs armes, les gardiens de prison qui ouvrent grand les portes des cellules pour leurs deux invités occidentaux en passant par le gardien de Persépolis refusant qu’il y ait eu des Grecs au Ve siècle avant JC, les Iraniens qui recitent par coeur des poèmes dans les cafés, les grosses paysannes qui posent leurs gros sacs avant d’admirer l’expo de Vernet, les aventuriers anglais, tenanciers de bar dans un coin perdu du Pakistan et enfin les routiers afghans de l’extrême… 

Un voyage au coeur de l’humain, érigé comme principe de rencontres ; au coeur de cette philosophie du voyage, il y a le don de soi, ce désir que le monde nous traverse pour que nous en recueillons les “miettes” éternelles.

Une réflexion intéressante qui met aussi en abîme l’écriture de voyage, mettant l’accent sur la difficulté de rendre palpables et vivants ces instants magiques…. 

” Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, qui vous défait” 

“Finalement, ce qui constitue l’ossature de l’existence, ce n’est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d’autres diront ou penserons de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l’amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible coeur” 

“Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prêt ses couleurs. Puis se retire et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr”

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